Arts contemporains
Inge Linder-Gaillard, Directrice artistique et pédagogique, ESADMM, France
Historienne de l’art de formation d’origine américaine, j’étudie, travaille, fais de la recherche en art contemporain depuis près de trente ans.
Au Magasin – Centre national d’art contemporain de Grenoble, où j’ai été responsable des expositions, les performances pouvaient faire partie du programme que l’équipe mettait en œuvre avec les artistes. À l’Université Pierre Mendès France à Grenoble, où j’enseignais l’histoire de la performance, on se penchait sur ses multiples incarnations à travers le 20e siècle pour l’examiner. À l’École Supérieure d’Art et Design •Grenoble •Valence où j'étais directrice du site de Grenoble, les performances se déployaient de manière expérimentale dans un environnement à fois encadré et libre. Dans mes recherches personnelles, je me suis intéressée en particulier à l’œuvre de l’artiste Gina Pane.
Dans le champ des arts plastiques, le travail performatif, appelé de manière courante « la performance », est reconnue comme un genre parmi d’autres actes de création. En histoire de l’art, cette nomenclature permet de prendre en compte des œuvres créées depuis le début du XXe siècle par les avant-gardes européennes tels les futuristes ou dadaïstes, comme nous le raconte RoseLee Goldberg en 1970.
Depuis plus d’un siècle donc (voire plus selon certaines analyses), les artistes plasticien.n.es mobilisent le corps humain, matière première d’une performance, pour penser et produire des œuvres d’une diversité vertigineuse.
Une performance se doit « d’avoir lieu » dans un espace-temps quelconque. Elle peut avoir lieu une seule fois ou plus. Sa durée peut être d’une seconde comme de 24 heures ou plus. Cette durée se passe quelque part, elle « a lieu » : dans une pièce quelconque comme sur une scène comme sur la place publique, comme dans un placard. En ceci, une œuvre performative se différencie d’une peinture ou une sculpture, qui se pose dans l’espace ; même si certaines théories exigent que l’œuvre « statique » n’ait pas lieu sans spectectateur.ice et qu’en cela toute œuvre de création serait expérientielle tout comme certains protocoles de création entrepris pour aboutir à une œuvre seraient considérés comme performatifs. Cela vaut également pour une œuvre vidéographique ou enregistrement sonore (qui peut être un enregistrement d’une performance…). Ces œuvres-objets peuvent faire partie d’une performance en tant qu’éléments qui contribuent à son environnement, au dispositif mis en place et mobilisés au cours d’une performance. Des éléments-objets de tous genres, nombreux ou pas, peuvent faire partie d’une performance.
Dans une performance, il peut y avoir une personne (voire aucune personne visible) comme il peut y avoir une foule. L’artiste-auteur.ice-concepteur.ice (ou les artistes) peut participer ou ne pas participer. L’artiste peut parler (chanter) ou pas, bouger (danser) ou pas. Il peut y avoir de la musique ou d’autres éléments sonores ou pas. Il peut y avoir une partition, un scénario ou pas. Chaque moment peut être prévu et répété jusqu’à atteindre un rendu très spécifique ou être totalement improvisé (même si une improvisation pouvait aussi être considéré comme un rendu « spécifique »), si cela est l’intention de l’artiste.
La volonté peut être qu’aucune trace ne soit laissée ou enregistrée ou à l’inverse que la moindre trace soit conservée et la performance enregistrée de multiples modalités techniques ou technologiques. Ces traces ou enregistrements peuvent être considérés comme de la matière brute pour faire d’autres œuvres qui se qualifient d’autres manières (du film cinématographique fictionnel ou de caractère documentaire, de la photo ou de la vidéo, d’œuvre sonore, d’éléments d’une installation ou d’autres dispositifs…). Gina Pane, par exemple, faisait faire des photographies très précises pendant ses performances. Elle présentait certaines de ces photographies comme des œuvres à part qu’elle qualifiait de constats. (Voir mon essai « De Situation idéale à Little Journey, un court voyage dans la « sémiotique sans modèle » des actions de Gina Pane »).
Les possibles sont tellement multiples, ils sont presque inimaginables. Et nous comptons sur les artistes à chaque fois pour proposer des performances que nous n’attendions pas, et même, de rejeter le mot performance. Tel était le cas de Gina Pane, qui privilégiait le mot Action pour décrire ses œuvres performatives qui se déployaient au sein d’un courant des années 1970 qui s’appelait l’art corporel.
Pour prolonger :
Inge Linder-Gaillard, « De Situation idéale à Little Journey, un court voyage dans la « sémiotique sans modèle » des actions de Gina Pane » Gina Pane, Carquefou : Frac Pays de la Loire, Dijon : Les Presses du réel, 2011, édition française / « From Situation idéale to Little Journey, A Short Voyage Into the “Unprecedented Semiotics” of Gina Pane’s Actions », Gina Pane, Carquefou : Frac Pays de la Loire, Dijon : Les Presses du réel, 2011, édition anglaise.
Pour citer : Inge Linder-Gaillard, « Performance », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177859