Géographie
Felix de Montety, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Sciences Po Grenoble, PACTE, 38000 Grenoble, France
Mes recherches portent sur l’épistémologie et l’histoire de la géographie en Europe. Je m’intéresse en particulier aux enjeux linguistiques et de traduction, ainsi qu’à l’apport des approches narratives, sensibles ou non-représentationnelles à la géographie contemporaine.
Le mouvement, dans le langage commun et pour beaucoup des sciences humaines, c’est l’évolution de la position d’un objet dans l’espace. La géographie, entre autres disciplines, se distinguerait par la diversité des échelles auxquelles elle envisagerait cette évolution : celle de l’ample mouvement des planètes et corps astraux qui structure la vie terrestre, celle des mouvements perçus comme infinitésimaux et pourtant inexorables des sols qui définissent la géologie de notre planète, celle des mouvements ordinaires de l’eau et de l’air dont les cycles fondamentaux permettent la persistance de la vie, et enfin et peut-être surtout, toutes les échelles des mouvements propres au rythme et à la respatialisation permanente des activités humaines.
Suivant ce fil, je dois bien admettre qu’alors que les détours de mon parcours de jeune chercheur m’ont invité souvent à explorer des aspects de la généalogie de la notion de mouvement en géographie, celle-ci m’était restée jusqu’alors un impensé, comme une évidence implicite dont l’exploration m’aurait forcé à me déplacer vers les terrains moins familiers de la terminologie ou de la philosophie.
En me plaçant sur les traces de la notion de « route de la soie » dans la géographie européenne au XIXème siècle et en cherchant à spatialiser l’étude de la variation des langues en Asie centrale, en enquêtant comme assistant de recherche dans le métro parisien, tout comme en travaillant pour une revue de danse et spectacle vivant comme traducteur et avec des jeunes migrants comme enseignant, c’était bien néanmoins toujours du mouvement qu’il s’agissait.
La propension des humains à développer leur vie en un lieu donné ou au contraire à poursuivre une histoire de déplacements apparaît depuis Hérodote, Strabon et les Anciens comme une des pierres de touche du discours géographique. L’évolution contemporaine des cultures épistémiques a vu disparaître les grandes théories du XIXème siècle sur la « circulation », notion qui embrassait chez les géographes allemands comme Friedrich Ratzel ou Ferdinand von Richthofen à la fois les grands déplacements antiques des peuples et les mouvements de marchandises et de personnes stimulés par la colonisation européenne du monde et la révolution industrielle. La géographie humaine leur préfère nettement depuis la seconde partie du XXème siècle l’étude quantitative et qualitative du transport et ses réseaux, des « mobilités » ordinaires appréhendées dans des emboîtements d’échelles fines et celle des migrations que l’on constate à la fois intégrées et exclues du système international mondialisé contemporain. Un projet récent m’a par exemple conduit à me pencher à l’aide de données statistiques sur la grande variété des flux traversant les frontières françaises aujourd’hui, y compris les flux de marchandises, les déplacements quotidiens des populations frontalières, et les flux de touristes dont l’analyse spatiale s’inscrit aujourd’hui dans la continuité de la pensée géographique moderne sur le mouvement.
Ce qu’il me semble y avoir d’étrangement évasif dans cette notion au sein d’une discipline où elle est pourtant omniprésente ne manque jamais de stimuler alors que de nouvelles approches revitalisent celle-ci avec l’émergence et l’institutionnalisation du practical turn et du performative turn depuis trois décennies.
Si l’attrait de la question performative est si manifeste parmi les géographes, jusque dans le nombre d’entre nous au sein du Performance Lab, ce n’est peut-être pas tant du fait d’une sensibilité esthétique que parce que l’étude des performances nous permet de nous interroger conjointement sur les actions, gestes et mouvements extra-ordinaires de la création et sur les actions, gestes et mouvements ordinaires des espaces vécus au quotidien. Au passage, c’est le mouvement des géographes lui-même que les travaux de Nigel Thrift notamment nous invite à interroger. En l’appréhendant de façon holistique comme phénomène spatial et social et comme implicite de la pratique scientifique, l’étude performative des faits et méthodes géographiques replace à mon sens de façon particulièrement pertinente le mouvement au cœur des grandes et petites questions spatiales qui font continuité dans les héritages de notre discipline.
Pour prolonger :
Felix de Montety, « La Route de la Soie : Imaginaires géographiques », in Asie centrale. Transferts culturels le long de la Route de la Soie, Michel Espagne, Svetlana Gorshenina et al. dirs., Paris : Vendémiaire, 2016, pp.405-418
Pour citer : Felix de Montety, « Mouvement », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177563