Dispositif Apparatus

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Définitions

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Bibliographie

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Définition

Manière dont sont arrangées les parties d’une machine ou d’un système. L’exploration contemporaine de la notion de dispositif en philosophie et dans les sciences sociales désigne plus généralement tout ce qui a la capacité de capturer, orienter, ou contrôler les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants. Dans le champ artistique, la notion de dispositif peut aussi être utilisée pour désigner une installation ou une scénographie, ou à la suite de Jean-Louis Baudry, pour caractériser la singularité de la création cinématographique.

Pour citer : « Dispositif », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177815

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Date de création : 2021-06-14.

Dernière modification : 2022-06-29.

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Bibliographie

« J’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’un autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants. Pas seulement les prisons donc, les asiles, le panoptikon, les écoles, la confession, les usines, les disciplines, les mesures juridiques, dont l’articulation avec le pouvoir est en un sens évidente, mais aussi, le stylo, l’écriture, la littérature, la philosophie, l’agriculture, la cigarette, la navigation, les ordinateurs, les téléphones portables et pourquoi pas, le langage lui-même, peut-être le plus ancien dispositif dans lequel, plusieurs milliers d’années déjà, un primate, probablement incapable de se rendre compte des conséquences qui l’attendaient, eut l’inconscience de se faire prendre. »

Giorgio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, traduit par Martin Rueff, Paris : Payot & Rivages, 2007 [2006], p. 31


« Ce que j’essaie de repérer sous ce nom c’est [...] un ensemble hétérogène comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques ; bref, du dit aussi bien que du non-dit, voilà les éléments du dispositif. Le dispositif lui-même c’est le réseau qu’on établit entre ces éléments [...] J’ai dit que le dispositif était de nature essentiellement stratégique, ce qui suppose qu’il s’agit là d’une certaine manipulation de rapports de force, soit pour les développer dans telle direction, soit pour les bloquer, ou pour les stabiliser, les utiliser. Le dispositif, donc, est toujours inscrit dans un jeu de pouvoir, mais toujours lié aussi à une ou à des bornes de savoir, qui en naissent, mais, tout autant, le conditionnent. »

Michel Foucault, « Le jeu de Michel Foucault », Dits et écrits, vol. 3, Paris : Gallimard, 2001 [1977], pp. 299-300


« Le dispositif en tant que processus (et non procédure) d’expérimentation tient certes de la tactique au sens de Clausewitz. Mais il conjugue un cadre (c’est-à-dire une option) et une interaction physique dont peut surgir l’imprévisible. Nous nous apercevons que les dispositifs d’observation et d’analyse les plus audacieux sont ceux qui permettent de provoquer ce qui paradoxalement échappe au dispositif : le caractère spontané et indéductible des interactions entre les acteurs, dont le corollaire est la nature non pas déductible mais inductive de la démarche anthropologique. »

François Laplantine, « Préface », dans Mouloud Boukala, Le dispositif cinématographique, un processus pour [re]penser l’anthropologie, Paris : Téraèdre, 2009, p.12


« Il est important de souligner, néanmoins, que le dispositif du spectacle intermédial fait émerger un environnement qui convoque le phénomène de réalité mixte, et cela en faisant interférer la réalité scénique avec la réalité produite par la technologie. Il s’agit alors du dispositif qui « combine » un environnement de nature physique avec un de nature technologique. »

Isabella Pluta, L’acteur et l’intermédialité. Les nouveaux enjeux pour l’interprète et la scène à l’ère technologique, Lausanne : L’Age d’Homme, 2011, p.145


« Le dispositif est d’abord une organisation matérielle : les spectateurs perçoivent dans une salle obscure des ombres projetées sur un écran, produites par un appareil placé le plus souvent derrière leur tête. C’est l’« appareil de base » (Baudry), métonymie de l’ensemble de l’appareillage et des opérations nécessaires à la production d’un film et à sa projection, et donc pas seulement de la caméra et du projecteur proprement dits. »

Jaques Aumont, Michel Marie, Dictionnaire théorique et critique du cinéma, Paris : Nathan, 2001, p.54

Arts contemporains
Inge Linder-Gaillard, Directrice artistique et pédagogique, ESADMM, France

Historienne de l’art de formation d’origine américaine, j’étudie, travaille, fais de la recherche en art contemporain depuis près de trente ans. Au Magasin – Centre national d’art contemporain de Grenoble, où j’ai été responsable des expositions, les performances pouvaient faire partie du programme que l’équipe mettait en œuvre avec les artistes. À l’Université Pierre Mendès France à Grenoble, où j’enseignais l’histoire de la performance, on se penchait sur ses multiples incarnations à travers le XXe siècle pour l’examiner. À l’École Supérieure d’Art et Design •Grenoble •Valence où je fus directrice du site de Grenoble, les performances se déploient de manière expérimentale dans un environnement à la fois encadré et libre.

Qui aujourd’hui en convoquant le mot dispositif ne pense pas à Giorgio Agamben et son texte Qu’est-ce qu’un dispositif ? (Rivages poche 2014) Lui-même se réfère en préambule à Michel Foucault pour le citer longuement, en qualifiant le dispositif de support possible de tout genre qui peut orienter et contrôler des savoirs, propos, gestes…

Ramenons cette notion à nos préoccupations au sein du Performance Lab. On pourrait dire que c’est un dispositif qui permet à une performance d’avoir lieu. C’est peut-être la signification militaire qu’Agamben indique qui nous pousse à examiner cette hypothèse, où un dispositif est : « l’ensemble des moyens disposés conformément à un plan » (p.19), si une intention artistique peut être assimilée à un plan. Un dispositif pourrait être conçu, produit et déployé d’autant de manières qu’une performance (voir le terme performance), c’est-à-dire incalculable.

Au sein du Performance Lab, on peut penser au travail de l’artiste Rachel Gomme, invitée à Grenoble au printemps 2020 pour une résidence du programme « Géo-Gestes ». Ce projet, malheureusement interrompu par la crise sanitaire, consistait à mener une recherche autour d’une interaction possible entre les humains et les arbres « de rue » (en situation urbaine) et à proposer une performance en activant ce que nous pourrions appeler un « dispositif » imaginé par Rachel Gomme. Artiste-chercheuse et chorégraphe, son travail corporel s’appuie sur les méthodes du BMC (Body-Mind Centering®). Le projet s’est élaboré en partenariat avec le Pacifique - Centre de développement chorégraphique national de Grenoble qui a repéré et recruté un groupe de danseurs et danseuses (Michel Brand, Angélique Favre, Aline Fayard, Claudia Lerma-Casa, Sandra Wieser) et l’École Supérieure d’Art et Design où Rachel Gomme allait mener un workshop avec des étudiant.e.s. J’accompagnais ce projet également. (Écouter l’entretien que j’ai mené avec elle et les témoignages des danseurs ici.)

A partir d’un travail de recherche-création déjà entamé autour des « arbres de rues », les performances Avec les Arbres 1 et 2 ont été calées pour avoir lieu au carrefour du boulevard Gambetta-Cours Berriat, axe majeur du centre-ville, et au grand parc de la Villeneuve, un quartier populaire historiquement important au sud de Grenoble. Des échanges avec le service Espaces verts de la ville de Grenoble (Benoît Walbrou, responsable) ont permis de comprendre par exemple que les arbres de la Villeneuve sont en bien meilleur état que ceux du centre-ville. Le travail préparatoire consistait principalement à faire des marches lentes et attentives et passer du temps avec les arbres choisis pour élaborer une chorégraphie plutôt en micro-gestes qui accompagnerait ces « êtres vivants » que nous côtoyons d’habitude sans y prêter attention. Des relevés de frottages, des dessins et des cartographies ont été produits également. L’objectif pour l’artiste était de voir de plus près ce que ces arbres auraient à nous apprendre en tant que modèle de survie, de résistance et de résilience au sein de leur environnement urbain.

Le dispositif de Rachel Gomme est fait d’un ensemble de gestes élaborés à partir d’expériences phénoménologiques et de connaissances apprises in situ au sein de lieux soigneusement sélectionnés. Reste à savoir si ce projet, qui est aujourd’hui ajourné, pourrait voir le jour sur notre territoire ?

Pour prolonger :

Pour citer : Inge Linder-Gaillard, « Dispositif », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177815

Anne-Laure Amilhat Szary, « Revendiquer le potentiel critique des dispositifs sciences-arts », Anti Atlas journal, 1, 2016, [en ligne] : https://www.antiatlas-journal.net/01-revendiquer-le-potentiel-critique-des-experimentations-arts-sciences-sociales/

Raymond Bellour, La querelle des dispositifs : cinéma, installations, expositions, Paris : POL, 2012

Gilles Deleuze, « Qu’est-ce qu’un dispositif ? », rencontre internationale (9-11 janvier 1988), Foucault Michel philosophe, Paris : Seuil, 1989, pp.185-195

Anyssa Kapelusz, « Usage du dispositif au théâtre : fabrique et expérience d'un art contemporain » [Thèse de doctorat], Université Sorbonne Nouvelle, 2012

Jérôme Glicenstein, « Dispositif(s) dans l’art contemporain », Marges, 20, 2015

Bernard Guelton dir., Dispositifs artistiques et interactions situées, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2016

Philippe Ortel dir., Discours, image, dispositif, Paris : L’Harmattan, 2008