Études circassiennes
Lucie Bonnet, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Litt&Arts, 38000 Grenoble, France
Je m’appelle Lucie Bonnet et suis actuellement en première année de doctorat en arts de la scène à l’Université Grenoble Alpes. Le milieu artistique duquel je suis issue et qui constitue le cœur de mes recherches est le cirque. Au regard de mes pratiques corporelles et scientifiques, cette contribution vise à illustrer la notion de corps.
L’approche de ce terme est personnelle, il convient donc de préciser que la première fois que j’ai rencontré corps est naturellement le jour où j’ai pris conscience que j’en possédais un. Cette visibilisation et exploration du corps s’est faite au travers de ce que j’ai nommé plus tôt mes « pratiques corporelles ». J’entends par cela, toute activité physique qui nécessite l’engagement de corps et qui contribue à la construction et compréhension de « mon corps ». Indéniablement, le cirque représente le terrain d’exploration, de mise au défi et de reconnaissance de mon corps. La littérature qui m’a permis d’approfondir ce terme est celle d’un autre corps : l’agrès. En effet, l’accès à la notion de corps n’a pu se faire, pour moi, que grâce au soutien et à la présence de l’agrès. D’abord, trapèze, puis tissus, ce matériel circassien a revêtu plusieurs formes avant que la connexion s’établisse avec la corde verticale : cette forme d’écriture en volume dont l’usure du tressage raconte en miroir ce que mon corps a traversé pour s’affirmer en tant que tel. Dans ce voyage d’un corps invisible à un corps sensible, la douleur est devenue l’outil permettant de découvrir les limites de ce corps, et finalement, ses capacités.
Cette expérience de terrain m’est apparue avec beaucoup de clarté en intégrant le domaine scientifique. Autrefois terrain d’exploration et de sensations, « corps » est devenu outil d’analyse et de compréhension. Il est celui par lequel j’observe, je capte et je comprends ce qui s’offre à moi dans le suivi de créations circassiennes. Je m’initie alors à d’autres gestes, d’autres agrès, d’autres découvertes, et mon corps s’en trouve déplacé, questionné et enrichi. Par ce qui est nommé « lecture acrobatique » 1 ou empathie kinesthésique, le corps, avec tout son bagage de gesticulations, déconstruit l’image d’une recherche théorique figée, froide et désincarnée.
Ma recherche et mon corps s’alignent dans le positionnement que je revendique : celui d’une chercheuse-circassienne, cordéliste amateure, s’interrogeant encore sur ce que corps regroupe, raconte, transforme. Corps n’est pas l’objet de mes recherches : il en est le sujet, le partenaire, l’outil et l’origine. La notion de « corps » doit être étudiée par le biais de tous les domaines qu’elle convoque (biologie, philosophie, sémiologie, linguistique, etc.), mais elle doit d’abord être regardée depuis l’expérience que chacun en possède et vécue par des pratiques expérientielles, car, aussi différent soit-il, quoi de plus commun que le corps ?
1 Marion Guyez. « Hybridation de l’acrobatie et du texte sur les scènes circassiennes contemporaines : dramaturgie, fiction et représentations ». Musique, musicologie et arts de la scène. Université Toulouse le Mirail - Toulouse II, 2017.
Pour citer : Lucie Bonnet, « Corps », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177813