Incorporation Embodiment

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Définition

Apparue en anglais au milieu du XXe siècle, la notion d’« embodiment », issue de la philosophie, de la psychologie sociale et des sciences cognitives, désigne une approche de la cognition ancrée dans le corps et en interaction avec un environnement, par opposition aux approches dites « représentationnelles ». Traduite en français par le terme « incorporation », cette notion est notamment utilisée dans les recherches en arts de la scène et en sciences sociales lorsqu’il s’agit d’étudier l’expérience corporelle subjective (le corps-vécu).

Pour citer : « Incorporation », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177819

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Date de création : 2021-06-14.

Dernière modification : 2022-06-29.

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Bibliographie

« We are embodied beings.  From the moment we are born our bodies are essential to our learning, growth and relationships with others. Throughout our lives, our bodies and movements communicate much more clearly than our words. »

Barbara Nordstrom-Loeb, « Embodiment - How to get it and why it is important », 12 février 2018, [en ligne] : https://www.csh.umn.edu/news-events/blog/thoughts-about-embodiment-how-get-it-and-why-it-important (29/03/21)


« By using the term embodied we mean to highlight two points: first that cognition depends upon the kinds of experience that come from having a body with various sensorimotor capacities, and second, that these individual sensorimotor capacities are themselves embedded in a more encompassing biological, psychological and cultural context. »

Francisco J. Varela, Evan Thompson, Eleanor Rosch, The Embodied Mind: Cognitive Science and Human Experience, Boston : MIT Press, 1993, pp.172-173


« Le bâton de l’aveugle a cessé d’être un objet pour lui, il n’est plus perçu pour lui-même, son extrémité s’est transformée en zone sensible, il augmente l’ampleur et le rayon d’action du toucher, il est devenu l’analogue d’un regard. […] Les lieux de l’espace ne se définissent pas comme des positions objectives par rapport à la position objective de notre corps, mais ils inscrivent autour de nous la portée variable de nos visées ou de nos gestes. S’habituer à un chapeau, à une automobile ou à un bâton, c’est s’installer en eux, ou inversement, les faire participer à la voluminosité du corps propre. L’habitude exprime le pouvoir que nous avons de dilater notre être au monde, ou de changer d’existence en nous annexant de nouveaux instruments. »

Maurice Merleau-Ponty, La Phénoménologie de la Perception, Paris : Gallimard, 2001 [1945], p.167-168

Études en arts et technologies numériques
Andrea Giomi, A.T.E.R., Arts et technologies numériques, Univ. Gustave Eiffel, Paris, France

Le paradigme d’embodiment est depuis toujours demeuré central dans ma recherche en se révélant une notion charnière à la fois dans mon approche philosophique et dans ma pratique d’artiste-chercheur en musique et en arts numériques. Je me suis tout particulièrement intéressé à cette notion dans le cadre de la cognition musicale incarnée, ainsi que de la philosophie de la technique. En effet, il convient de noter que la théorie de l’embodiment, issue originairement de la phénoménologie merleau-pontienne, a fait, dans les trente dernières années, l’objet d’applications très variées dans des domaines tels que les neurosciences, la psychologie, l’anthropologie, les études de genre, l’interaction homme-machine et les arts, en devenant ainsi une clé de voûte de la pensée contemporaine.

La popularité de cette notion peut s’expliquer par le fait que le corps a gagné pendant le XXe siècle une importance remarquable dans les arts, la culture et les sciences, en devenant non seulement un objet d’étude privilégié mais aussi le lieu d’origine de tout phénomène d’expression et de connaissance. Le fait « d’être corps » devient ainsi la condition préalable de notre ouverture expérientielle au monde. Par cela, le terme embodiment nous renvoie à deux processus majeurs qui décrivent notre relation primaire au monde. D’une part, cette notion suggère que l’ensemble des processus de connaissance, de communication et d’affection, y compris les processus cognitifs de haut niveau tels que le langage, reposent sur la nature essentiellement incarnée de la perception. Plus particulièrement, c’est grâce au corps, et au mouvement corporel que j’accède au monde et aux autres. D’autre part, la corporéité n’est pas une structure fixe, mais plutôt un réseau dynamique capable d’intégrer l’altérité, y compris les objets techniques, dans son propre système sensori-moteur. De ce point de vue, l’embodiment identifie notre capacité à redéfinir constamment nos habitus corporels et kinesthésiques par le biais du monde externe.

Dans ma recherche sur les technologies en art et sur le rapport entre geste et son, j’ai travaillé la notion d’embodiment afin d’interroger le rôle de la technologie dans la pratique artistique performative, tout en développant des approches à l’interactivité qui mettent au centre la capacité de la technique d’induire une prise de conscience sensori-motrice et proprioceptive du corps. Je me suis intéressé à cette notion également en relation à l’écoute incarnée. Selon les approches incarnées, les activités liées à la formation du sens musical émergent de l'interaction mutuelle entre perception et action tout en remarquant le rôle central du corps et des mouvements corporels dans les processus de connaissance. 

Dans le cadre de mon travail postdoctoral au sein du Performance Lab, j’ai pu me servir de cette approche à l’occasion de plusieurs expérimentations pratiques portant sur le rapport entre geste et trace sonore. En particulier, dans un atelier co-dirigé avec Gretchen Schiller et la chercheuse brésilienne Ivani Santana nous avons expérimenté l’utilisation des algorithmes d’apprentissage automatique pour archiver un certain nombre de gestes ordinaires (issus du quotidien), que nous avons ensuite associé à des échantillons sonores particuliers. Le système permettait d’évaluer en temps réel la cohérence entre le geste exécuté et le geste enregistré auparavant en produisant un retour sonore spécifique pour chaque geste. Dans le cadre de l’atelier, auquel ont participé une dizaine de membres du Performance Lab, nous avons pu expérimenter comment le son permettait aux participants de retrouver la qualité gestuelle souhaitée tout en fonctionnant comme une sorte de trace auditive sollicitant la mémoire incarnée du corps. Cette expérience suggère que l’auditeur se trouve impliqué dans une « boucle interactive » avec l’environnement sonore, dans laquelle le couplage action/prédiction – c’est-à-dire le rapport entre le geste musical (dans ce cas le geste orienté par la trace sonore) et les patterns cognitifs de représentation de l’action, canalisés par l’écoute – est renforcé par le processus d’incorporation kinesthésique du son.

Pour prolonger :

Andrea Giomi, « Virtual Embodiment. An Understanding of the Influence of Merleau-Ponty’s Philosophy of Technology on Performance and Digital Media ». Chiasmi International, 22: « Mirrors and Other Technologies », 2021, pp. 297–314

Andrea Giomi, « Pour une approche de l’écoute incarnée. Corps, technologies et perception », Hybrid. Revue de Arts et de Médiations Humaines, 6: « L’écoute », 2019. [En ligne] http://www.hybrid.univ-paris8.fr/lodel/index.php?id=1300

Pour citer : Andrea Giomi, « Incorporation », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177819

Frances Dyson, Sounding New Media: Immersion and Embodiment in the Arts and Culture, Berkeley : University of California Press, 2009

Marja-Leena Juntunen and Leena Hyvönen, « Embodiment in Musical Knowing: How Body Movement Facilitates Learning within Dalcroze Eurhythmics », British Journal of Musical Education, 21, 2, 2004, pp.199-214, [en ligne] : https://www.cambridge.org/core/journals/british-journal-of-music-education/article/abs/embodiment-in-musical-knowing-how-body-movement-facilitates-learning-within-dalcroze-eurhythmics/8F7B0C4A2D759B7D29E4215DC9C8BBC9 (06/05/21)

Laura Marks, The Skin of the Film: Intercultural Cinema, Embodiment, and the Senses, Durham, NC : Duke University Press, 2000

John Shotter, « Bateson, Double Description, Todes, and Embodiment: Preparing Activities and Their Relation to Abduction », Journal for the Theory of Social Behaviour, 39, 2009

Vivian Sobchack, Carnal Thoughts: Embodiment and Moving Image Culture, Berkeley: University of California Press, 2004

C. Taylors, C. Lord, et C. Bond, « Embodiment, Agency, and Attitude Change », Journal of Personality and Social Psychology, 6, 97,‎ 2009, p.946-962, [en ligne] : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19968412/ (06/05/21)

Allison Winters, « Emotion, Embodiment, and Mirror Neurons in Dance/Movement Therapy: A Connection across Disciplines », American Journal of Dance Therapy, 30, 2008, pp.84-105

Jordan Zlatev, « Language, embodiment and mimesis », Body, Language and Mind, Tom Ziemke, Jordan Zlatev, Roslyn Frank dirs., Berlin : Mouton de Gruyter, 2007, pp.297-338