Terrain Fieldwork

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Définitions

Brève définition des termes pour donner le cadre de leur portée théorique et disciplinaire.

Citations

Citations d’auteurs proposant des éléments de définition faisant consensus et provenant de sources bibliographiques.

Perspectives

Textes rédigés par des chercheurs/artistes à partir de l’expérience de leur terrain d’étude.

Bibliographie

Sources bibliographiques prolongeant les citations.

Définition

Le « terrain » est une notion, aujourd’hui omniprésente dans les sciences sociales, qui désigne à la fois le lieu et l’objet de la recherche tel qu’il est construit dans et par le discours scientifique. Il peut être lointain autant que proche et familier mais suppose toujours une familiarisation empirique nourrie par un travail théorique, une structuration de l’enquête, une objectivation des faits observés, ainsi que par une réflexion d’ordre éthique sur la positionnalité du sujet effectuant la recherche et ses relations avec les individus et groupes sociaux rencontrés.

Pour citer : « Terrain », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177903

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Date de création : 2021-06-14.

Dernière modification : 2022-06-29.

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Perspective

Citation

Bibliographie

« Bref, le « terrain » du chercheur en sciences du social est bien celui qu’il se donne, qu’il construit par ses démarches et ses choix de méthode, qu’il crée ainsi artificiellement – ce qui ne veut pas dire facticement –, en un mot, qu’il instrumentalise au regard de son objet d’étude. […] De ce point de vue, le « terrain », de par sa construction méthodique même, participe de l’objectif de recherche, admet un rôle constitutif et efficient dans le produit théorique que sont les propositions ou les conclusions de la science. Autrement dit, le « terrain » n’est pas d’abord un accessoire mobilisé pour faire témoignage en faveur de la validité de la proposition ou de la conclusion scientifique, un argument à valeur psychologique pour emporter la conviction des pairs ou d’un public, mais, c’est en tout cas souhaitable pour les sciences du social, un puissant moyen heuristique au service d’une compréhension non triviale du social que l’on étudie. C’est en ce sens qu’il peut, et doit, rester « problématique », qu’il participe de la problématisation de l’objet de la recherche et, ce faisant, qu’il est à tenir pour constitutif de la démarche scientifique. »

Michel Messu, « Le « terrain », mais pour quoi faire ? », Cahiers de recherche sociologique, 61, 2016, pp.91-108, [en ligne] : https://www.erudit.org/fr/revues/crs/2016-n61-crs03301/1042370ar/ (06/05/21)


« Un terrain serait ainsi un ensemble d’états et de processus prélevés dans des espaces matériels ou symboliques ; rassemblés dans une dynamique signifiante par un acteur-chercheur, ce qui ne se limite pas à examiner des lieux, des personnes ou des objets physiques. Il peut s’agir de matériaux conceptuels ; de messages ; de groupes humains ; d’institutions, etc., chacun s’explorant à l’aide de méthodes nécessairement hybridées. Ainsi, « faire un terrain » ce n’est pas seulement aller quelque part, s’immerger dans d’autres réalités, observer, prélever « objectivement » de l’existant. Le terrain, vu comme construction formelle propre à un chercheur, peut revêtir des formes très diverses si on le comprend comme adjuvant ou fondement de la recherche ; comme relation avec un projet (vouloir démontrer quelque chose) ; comme objet scientifique (une construction mentale) ; ou encore moyen de valoriser une démarche de chercheur (une posture sociale, une manière de regarder et de montrer). »

Philippe Quinton, « Le sens du terrain », Études de communication, 25, 2002, pp.41-50, [En ligne] : http://journals.openedition.org/edc/649 (06/05/21) 


« Je me méfie toujours du mot terrain. Il est trop chargé d’arrière-pensées, et d’étymologie : terre, terrain, terreau, c’est une vieille lune des géographes. Je me souviens de l’époque où l’un d’entre nous (qui d’ailleurs paradoxalement s’est surtout illustré dans l’océanographie...) clamait : ‘La géographie, ça se fait avec les pieds’. C’était pour moi l’abomination de la désolation, l’expression de la pure bêtise. Je lui ai répondu : ‘Je préfère la faire avec la tête’. C’est juste une image pour dire qu’il y a eu une tendance des géographes, et il y a toujours une tendance de certains géographes, à survaloriser, sinon réifier et diviniser, ‘le terrain’. »

Roger Brunet, entretien avec Yann Calbérac, in Yann Calbérac, « Terrains de géographes, géographes de terrain. Communauté et imaginaire disciplinaires au miroir des pratiques de terrain des géographes français du XXe siècle » [Thèse de doctorat], Université Lumière- Lyon II, 2010, p.240

Géographie
Myriam Houssay-Holzschuch, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Sciences Po Grenoble, PACTE, 38000 Grenoble, France

C’est précisément l’envie de « faire du terrain », lointain, qui, dès la licence, m’a amenée à la géographie comme discipline : l’envie de partir loin, pour découvrir des lieux et des gens, y passer du temps et aller voir « là-bas » ce que j’y deviens. C’est ainsi que je partis d’abord à Madagascar pour un premier travail de recherche, puis en Afrique du Sud et en particulier au Cap, qui est devenu « mon terrain » privilégié. Ce pensant, je donnais en plein dans la mythologie disciplinaire, opérante et problématique, de l’exotique – partie intégrante de son héritage colonial – et de processus de légitimation scientifique spécifiques, où la présence du géographe (ce modèle est masculin, voire masculiniste) sur les lieux, pour observer, noter, mesurer, écouter, produit et valide ses résultats. Cette mythologie a longtemps été peu réflexive.

Mon « terrain », dès lors, était une portion d’espace, celle sur laquelle je récolte des données empiriques en m’y rendant avec régularité, portion d’espace délimitée et délimitant à son tour mon expertise. Cette première définition, venant de l’expérience et apparemment simple, nécessite déjà des nuances : elle fonctionne de manière multiscalaire, en poupées russe, puisqu’ayant enquêté dans les quartiers noirs de la ville du Cap, mon expertise est considérée comme légitime grâce à ce terrain pour l’ensemble de la ville du Cap, le pays dans son ensemble, voire le continent entier (je suis alors considérée comme « africaniste ») ou les villes des Suds (comme géographe de l’urbain, mon identité scientifique changeant avec les géométries des terrains sur lesquels on me reconnaît comme légitime). Le terrain, entendu dans ce sens classique et limité de portion d’espace étudié reflète une discipline qui a longtemps eu tendance à découper le monde en régions, à entrer par les lieux plutôt que par les flux, alors qu’il pourrait être multisitué voire en mouvement, pour suivre les circulations qui modèlent l’espace. Enfin, le terrain est une instance de légitimation disciplinaire : historiquement, plus il est long, lointain, plus il est dangereux (et il faut reconnaître que l’Afrique du Sud se défend bien sur ce critère), plus il « compte » pour légitimer un·e chercheur·e comme « vrai·e géographe » et ses travaux comme valides.

Aujourd’hui, la réflexivité critique s’est enfin emparée du terrain – pour faire la généalogie de cette pratique disciplinaire canonique et normative, pour en esquisser une épistémologie, pour prendre au sérieux les émotions qu’il suscite et sa dimension sensible et corporelle chez le sujet cherchant, pour le construire de manière plus éthique, moins voyeuriste et prédatrice des personnes qui s’y trouvent, et avec qui et non plus sur qui il s’agit de travailler.

Pour prolonger :

Myriam Houssay-Holzschuch, “Géographies de la distance : terrains sud-africains”, Carnets de terrain. Pratiques géographiques et aires culturelles, Thierry Sanjuan dir., Paris : L'Harmattan, 2008, pp. 181-195, [en ligne] : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00326234 (03/11/21)

Anne Volvey, Yann Calbérac, Myriam Houssay-Holzschuch, “Terrains de je. (Du) sujet (au) géographique”, Annales de géographie,687-688, 2012, pp.441-461, [en ligne]: https://doi.org/10.3917/ag.687.0441 (03/11/21)

Pour citer : Myriam Houssay-Holzschuch, « Terrain », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177903

Stéphane Beaud, Florence Weber, Guide de l’enquête du terrain, Paris : La découverte, 2003

Yann Calbérac, « Le Terrain d’un épistémologue », Carnets de géographes, 2016, [en ligne] : https://www.carnetsdegeographes.org/carnets_terrain/terrain_02_01_Calberac.php (28/03/21)

Paul Claval, « Le rôle du terrain en géographie. Des épistemologies de la curiosité à celles du désir » in Confins. Revue franco-brésilienne de géographie, 17, 2013, [en ligne] : https://doi.org/10.4000/confins.8373 (28/03/21)

Pauline Guinard, « De la peur et du géographe à Johannesburg (Afrique du Sud) », Géographie et cultures, 93-94, 2015, pp.277-301, [en ligne] : https://doi.org/10.4000/gc.4013 (23/06/21)

Bernard Müller, « Le terrain : un théâtre anthropologique », Communication, 92, 2013, pp. 75-83, [en ligne] : https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_2013_num_92_1_2694 (28/03/21)

Anne Volvey, « Terrain », Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés Jacques Lévy, Michel Lussault dirs., Paris : Belin, pp.904-906

Anne Volvey, Yann Calbérac, Myriam Houssay-Holzschuch, « Terrains de je. (Du) sujet (au) géographique », Annales de géographie, 687-688, 5-6, 2012, pp.441-461, [en ligne] : https://doi.org/10.3917/ag.687.0441 (06/05/21)