Études théâtrales
Séverine Ruset, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Litt&Arts, 38000 Grenoble, France
Enseignante-chercheuse en arts de la scène, je travaille sur la création scénique contemporaine en France et en Angleterre. J’articule dans mes travaux l’étude des œuvres à celle de leurs contextes de production, avec une attention marquée pour les modes d’organisation interne qui sous-tendent leur création.
Dans le champ du spectacle vivant, les créations in situ sont des créations qui présentent la double particularité, d’une part de rencontrer leur public dans des lieux qui ne sont pas dédiés aux pratiques spectaculaires, et d’autre part de ne pas faire de ces lieux (qu’ils soient intérieurs ou extérieurs, ruraux ou urbains, publics ou privés) de simples réceptacles des œuvres, mais de les prendre en compte dans la conception et/ou l’interprétation de ces dernières. Dans son acception la plus restreinte, l’in situ correspond à ce que les Anglo-Saxons désignent comme site-specific : il est indissociable de son contexte de production et ne peut être reproduit ailleurs. Le terme qualifie toutefois également des démarches compatibles avec une logique de tournée, qui, pour n’être pas inextricablement liées aux lieux au sein desquels elles prennent forme, n’en témoignent pas moins, selon des degrés et des modalités variables, d’une sensibilité accrue aux sites qu’elles investissent.
Une part de mes recherches en cours s’intéresse au renforcement récent de la présence de ces propositions dans les programmations des institutions du spectacle vivant français. Stimulée par l’injonction que les pouvoirs publics font à ces dernières d’accroître leur ancrage territorial et de se rapprocher des habitants, sinon d’aller à leurs devants, cette tendance devrait encore s’accroître à la faveur de la crise sanitaire de la covid 19, qui encourage les dispositifs hors-les-murs propices à la distanciation physique. Si la tendance profite entre autres aux créations rigoureusement attachées à leurs lieux d’origine, on constate que les institutions publiques déploient fréquemment ces créations strictement situées à la marge de leurs saisons artistiques, dans le cadre de leurs programmes d’action culturelle, où elles les valorisent essentiellement pour leur fonction sociale. Une inflexion s’observe cependant dans certains établissements artistiques, qui mettent en évidence la valeur non seulement sociale, mais également artistique, de ces créations, et leur accordent une place centrale dans des projets globalement très attentifs à leurs contextes1. Se pose alors entre autres la question de savoir comment le positionnement marqué de ces institutions en faveur de l’in situ s’accorde avec l’exigence de rayonnement, mais aussi de développement partenarial, de niveau national, voire international, que sont censés partager les établissements labellisés par le ministère de la Culture. Il importe toutefois de souligner que l’in situ n’est pas en soi incompatible avec une dynamique interterritoriale, ni plus globalement avec une ouverture vers l’ailleurs. En témoigne le projet … en Jumelle du chorégraphe Laurent Pichaud, qui propose des expériences artistiques situées en lien avec la question du jumelage. Actuellement développé dans l’agglomération grenobloise en association avec le CCN2, mais destiné à investir différents territoires, où il se déclinera de manière chaque fois singulière, il conjugue des créations arrimées aux sites avec lesquels le chorégraphe compose, et des échappées au lointain, tant imaginaires que physiques, tout l’enjeu du projet étant de faire entrer en résonance l’« ici et maintenant » révélé par la pratique in situ avec « l’ailleurs et maintenant » de villes et paysages jumelés.
1 C’est le cas par exemple du CCN2 – Centre Chorégraphique National de Grenoble et du CDCN Le Pacifique, qui accordent une place déterminante aux créations situées et autres démarches « de terrain », à l’examen desquelles est consacré le projet « Écouter le terrain : Pratiques chorégraphiques en partage » que je coordonne avec Gretchen Schiller.
Pour citer : Séverine Ruset, « In situ », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177837