Installation et performance
Rachel Gomme, Artiste-chercheuse et performeuse indépendante, Londres, Royaume-Uni
Je suis artiste en mouvement et en performance. Je suis aussi chercheuse en Performance Studies et philosophie de la performance. Et au fond, je suis improvisatrice. Dans un sens, pour moi toute pratique, toute création, est recherche. Je crée une performance pour voir ce qui va se passer. Je danse sans chorégraphie prédécidée, en suivant la direction proposée par mon corps, mon environnement (son, surfaces, public). Je me donne une tâche pour voir comment mon corps va réagir (passer quatre heures à transporter du sable, grain par grain ; tricoter assise dans la même position pendant 24 heures ; suivre une rivière dans la nuit jusqu’à la mer). Je crée un cadre, je l’ouvre à un public invité ou trouvé, sans avoir une idée de comment il va réagir. Mon seul moyen de savoir est par la performance, parce que ma question, c’est la situation de performance. Je veux en savoir plus sur ce qu’elle est, ce qu’elle rend possible.
Comme tout être vivant, mon corps pense en mouvement, s’oriente vers la survie : vers la lumière, la nourriture, le confort, le repos. En toute activité, qu’elle soit consciemment identifiée comme une « pratique » ou non (marcher, porter, tourner pour voir…), mon corps improvise constamment, cherchant le chemin le plus efficace, le moins douloureux, qui donne le plus de plaisir. Comme la sculptrice qui adapte instinctivement son geste aux tours et textures de bois ou de pierre, le vanneur qui écoute et négocie la tension de chaque fibre sans y penser, mon corps a toujours su ce qu’est la recherche.
Comment est-ce que tout cela s’accorde avec un « projet de recherche » ? Si je pose un « thème de recherche » théorique ? Par exemple : qu’est-ce qu’être présent ? Comment est-ce que mon corps se souvient ? Qu’est-ce qui est en jeu quand deux personnes occupent le même espace ? Comment sais-tu que tu es là ? Ce sont autant de questions essentielles dans mon travail de création. Dans la position de chercheuse, je peux les penser profondément, je peux puiser dans les riches analyses de tant d’autres ; je peux mobiliser une approche philosophique. Mais en fin de compte, ces questions ne trouvent de réponse que dans la pratique, la praxis, des corps vivants. Encore une fois, je crée un cadre, j’invite à la découverte. Tout ce que j’ai pensé, les textes que j’ai fouillés, les dialogues que j’ai engagés avec d’autres chercheur.ses, alimentent et enrichissent les questions, le cadre. Une performance se dessine, qui reste une question. La nouvelle connaissance naît dans les corps, est partagée à travers nos paroles mais saisie, tenue, incorporée par nos actions, notre existance ensemble.
Pour prolonger :
Gomme, Rachel, “Repetition compulsion: How I learned to love doing it again”, Performance Research 20 (5), 2015, pp. 10-11.
Gomme, Rachel, “One and one”, in The Routledge Companion to Audiences, eds. Matthew Reason, Lynne Conner, Katja Johanson, Ben Walmsley. London: Routledge (2021 forthcoming)
Nelson, Robin, “Practice-as-research and the problem of knowledge”, Performance Research, 11(4), 2006: 105-116.
Sheets-Johnstone, Maxine, The Primacy of Movement (expanded second edition) (Amsterdam, John Benjamins Publishing Company, 2011)
Pour citer : Rachel Gomme, « Pratique comme recherche », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177877