Études en danse
Martin Givors, Chargé de recherches, Études en danse & anthropologie, FNRS, Université de Liège, Liège, Belgique
En tant que chercheur en danse, je tends à considérer mon propre corps comme le premier foyer des questionnements qui m’animent. Mon travail académique a ainsi débuté au sortir d’une formation au jeu d’acteur, lorsque je décidais de retourner étudier aux côtés de l’un de mes enseignants, non plus en tant qu’élève, mais en tant qu’apprenti-chercheur. L’observation-participante est le nom de la méthode par laquelle j’ai depuis tenté de tisser une continuité entre mes engagements pratiques et théoriques dans les arts de la scène.
Dans le cadre de mes recherches consacrées aux techniques de danse contemporaine, l’observation-participante m’est apparue comme une manière de concilier deux points de vue sur mes objets d’étude : le premier est un regard que je qualifierai de somatique, le second d’ethnographique. L’engagement somatique ouvre la possibilité de penser depuis le geste : il s’agit de décrire le geste, les sensations qu’il fait émerger, les imaginaires qu’il ouvre, les usages du corps qu’il compose, les relations corps-environnement qu’il propose. Parallèlement, la tenue d’un carnet de terrain, la réalisation d’entretien et les temps d’observation permettent d’étudier ethnographiquement les conditions d’émergence du geste : quelles sont les influences à l’œuvre chez le danseur ou le chorégraphe ? Comment guide-t-il les participants à travers des explorations sensorielles et des improvisations ? Quel est son langage ? Quelle micropolitique organise les relations lors d’un cours ou d’une création ? L’association de ces deux perspectives permet d’approcher le geste dans un double-mouvement à la fois documentaire et prospectif : comment est-il produit et que produit-il ?
D’un point de vue méthodologique maintenant, la mise en place de l’observation-participante en danse suppose de considérer l’histoire, la technicité et la sensorialité du corps du chercheur lui-même. En octobre 2017, je participais à un workshop d’acrodanse donné par Dimitri Jourde, un artiste que je suivais par ailleurs dans deux productions différentes dans le cadre de mon travail doctoral[1]. Si l’observation et la description de son training quotidien était devenue une habitude depuis quelques mois, mon engagement corporel dans sa danse me fit découvrir de nombreux enjeux que je n’étais parvenu à saisir deux années durant : je pense au rôle de la souplesse des hanches dans les acrobaties de sol, à l’importance des trajectoires du regard dans les mouvements qu’il héritait de la capoeira, ou encore à l’imaginaire animalier qui nourrissait ses improvisations[2]. Depuis, j’ai retiré de cette expérience trois questionnements quant à l’usage de l’observation-participante en danse. 1/ Quelle importance accorde-t-on à l’(in)compétence du corps du chercheur dans la technique qu’il se propose d’étudier ? 2/ Quelle importance accorde-t-on à la durée d’exercice d’une technique dans le cadre de son étude ? Écrit-on après le temps d’un workshop, ou reprend-on les techniques plusieurs semaines durant ? 3/ Et enfin, quelle importance accorde-t-on au style du corps du chercheur lui-même[3] ? Considère-t-on l’engagement pratique du chercheur comme un processus permettant de comprendre de l’intérieur la proposition de l’artiste étudié, ou bien comme une manière de mettre en culture son propre corps, d’où émergerait une connaissance spécifique ?
[1] Le spectacle Celui qui tombe (2014), mis en scène par Yoann Bourgeois, ainsi que le spectacle Fractus V (2015), chorégraphié par Sidi Larbi Cherkaoui.
[2] Givors M., 2017. « La Terre et l'Acrobate : récit d’une étrange collision », Corps-objet-image, n°3.
[3] Givors M., 2017. « À l'écoute des forces : excursion anthropologique au pays des courants d'air », Recherches en danse, n°6.
Pour citer : Martin Givors, « Observation participante », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177855