Études en danse
Laura Fanouillet, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Litt&Arts, 38000 Grenoble, France
Danseuse et philosophe de formation, ma recherche doctorale interroge le caractère initiatique du training in situ, au sens d’une connaissance de soi et du monde révélée sur place, par l’effectuation du geste dansé. Dirigée par Renaud Barbaras lors de mes mémoires de recherche en philosophie contemporaine, j’ai été dès mes premières années universitaires saisie par les paroles de ce professeur spécialiste d’Edmund Husserl, de Maurice Merleau-Ponty et de Jan Patočka, dont les ouvrages font référence dans le champ de la phénoménologie. C’est donc sous le signe de l’influence que cette approche s’est immiscée dans ma propre pensée, jusqu’à devenir une manière de sentir et de percevoir, éclairant mon expérience de danseuse interprète. La phénoménologie, du grec « φαινόμενον », ce qui apparaît, se caractérise par un geste de l’esprit : celui de la suspension de l’approche naturaliste du monde ou de la croyance en la réalité extérieure. Ce geste nommé « épochè » par Husserl au début du XXe siècle n’a rien du doute – il n’est ni sceptique, ni cartésien. Il est une opération de réduction par laquelle nous accédons à l’apparition pure. Dissolvant le contour des choses, nous remontons alors au fondement de la relation intentionnelle dont nous faisons l’expérience : toujours conscients d’autre chose que soi.
Cette perpétuelle effraction de l’altérité au sein de nos propres vécus entraîne notre existence dans une qualité de présence attentive au moindre surgissement. C’est cette dimension-là qui me semble particulièrement pertinente dès lors que nous cherchons à décrire ou à transmettre l’expérience de l’acteur, du danseur ou du spectateur du point de vue de l’intériorité de ce qu’il éprouve comme de ce qui le traverse. Elle nous permet en effet d’inscrire l’expression du geste dans la corrélation immédiate d’un sujet et d’un monde, à la fois touchant et touché. D’un côté donc l’approche phénoménologique nous ouvre l’accès au spectacle vivant qu’est notre conscience et de l’autre, elle nous plonge dans le mouvement du corps qui est nôtre par le dialogue continu qu’il entretient avec d’autres corps. Ce sont ces deux aspects que je mobilise actuellement dans mes recherches doctorales pour étudier comment la pratique de la danse nous permet à la fois de ressentir physiquement l’environnement et d’approfondir notre propre nature.
En se situant au niveau de cet entrelacement originaire, chiasme ou entrelacs, l’inscription du sens dans le corps vécu est d’emblée reconnue. Elle permet d’écouter ou d’entendre ce qui se joue au niveau de la conscience sensible du mouvement et de redonner à l’espace-temps la malléabilité poreuse de ses dilatations et de ses resserrements. L’expérience kinesthésique du danseur peut dès lors être décrite comme la sensation des déplacements non seulement de son corps dans l’espace, mais de sa subjectivité dans le temps. Ce double mouvement m’a permis d’interroger l’in situ comme un phénomène où le corps et l’environnement se confondent, lorsqu’une image de nous-mêmes nous est renvoyée par une composante du paysage. Il m’a également menée à enquêter sur la pratique quotidienne de danseurs (Imre Thormann et José Suarez el Torombo dans le cadre de mon doctorat) ayant choisi de prendre leur propre vie pour studio – lieu où l’on apprend à apprendre.
Pour prolonger :
Guillaume Allardi, Laura Fanouillet, Le Corps ou le fruit de l’expérience, Paris, Larousse, coll. Philosopher, 2010
Pour citer : Laura Fanouillet, « Approches phénoménologiques », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177589