Études en danse
Gretchen Schiller, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Litt&Arts, 38000 Grenoble, France
Dans les études en danse, on se concentre sur la manière dont les gestes créent des traces dans l’espace, mais moins sur les marques qu’ils laissent à l’intérieur du corps et qui constituent pourtant l’essence même du travail de l’interprète. Je suis chorégraphe et chercheuse à l’Université Grenoble Alpes et j’ai commencé ma carrière professionnelle dans le domaine de la danse en tant que danseuse professionnelle au Canada. Au-delà de mon expérience personnelle, je me suis intéressée à la manière dont les interprètes mobilisent des stratégies sensorielles internes dans la performance en danse, cirque et vidéodanse.
La danseuse et actrice Catherine Schaub-Abkarian[1], alors qu’elle dansait pour le ITMoi d’Akram Khan, qualifiait sa dramaturgie interne de « cuisine intérieure ». Une expression qu’Ariane Mnouchkine lui avait transmise. La cuisine, ou dramaturgie interne du danseur, n’est que peu abordée dans les études de la performance en danse.
Dans le domaine du théâtre, les stratégies de performance intérieures ont davantage été étudiées, avec des méthodes comme celle de Stanislavsky, mais en danse, nous nous focalisons plus sur le geste physique et moins sur les stratégies de dramaturgies intérieures pendant l’entraînement.
Il semble, pourtant, que les connaissances scientifiques en performance ont tout à gagner à inviter la voix performative du danseur sur la scène universitaire. Cette voix est une autre modalité, ou une traduction du mouvement, qui peut aller de pair avec des lectures visuelles, acoustiques, numériques, compositionnelles, historiques, sociopolitiques ou de genre, de la danse. En étudiant les savoir-faire corporels du danseur, nous valorisons l’intelligence et l’agentivité du danseur. Nous comprenons plus précisément et de l’intérieur, comment les danseurs percent le sens et résolvent des problèmes concrets en danse.
En 2019, le projet « Gestes et Fréquences[2] » du Performance lab a commencé à récolter des données concernant les dramaturgies internes des danseurs et à créer des outils d’archives innovants. Un des projets, mené avec la danseuse Stéphanie Pons, une danseuse française membre de la Cie Angelin Preljocaj pendant plusieurs années, a consisté à rejouer et verbaliser sa performance dans Paysage après la bataille (1998). Elle a partagé sa dramaturgie interne qui consistait en un souvenir des instructions du chorégraphe, un souvenir personnel de ceux qui dansaient avec elle, ainsi qu’une transmission orale rétrospective.
La nature, par essence subjective, du terme « dramaturgie interne » nous permet de nous détacher de la description biomécanique ou de l’observation du mouvement comme oculocentrique, pour nous focaliser sur la fabrication subjective de l’expérience de la danse. On parle des impulsions physiques, mais le mouvement naît aussi de dramaturgies internes comme des partitions performatives. Les dramaturgies internes peuvent être motivées par et composées de nombreux facteurs dont le symbolique, l’imaginaire, le souvenir, les textures, les réponses fonctionnelles et l’écoute du corps-propre et de l’autre.
[1] Gretchen Schiller. The impossible-possible of being still. European Drama and Performance Studies, Classiques Garnier, 2017, Déjouer l’injouable : la scène contemporaine à l’épreuve de l’impossible, Hors série.
[2] Avec Andrea Giomi, Lucie Bonnet, Simone Christ Camargo, Ramon Lima da Silva, Thibault Goyallon, Lionel Reveret
Pour citer : Gretchen Schiller, « Dramaturgie interne », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/332716