Études en littérature
Gay McAuley, Professeure, Littérature française et Performance Studies, Université de Sidney, Australie
La pratique de l’observation des acteurs professionnels en répétition est apparue dans un premier temps comme un moyen de sensibiliser les étudiants de mes cours de littérature française à la manière dont les textes dramatiques fonctionnent en tant qu’élément d’un processus complexe de construction du sens et, par conséquent, exigent des compétences de lecture différentes de celles d’autres textes littéraires. Elle s’est développée dans le cadre du projet d’analyse de la performance, que nous explorions avec des étudiants et des collègues dans la discipline émergente des Performance Studies. Cependant, il est vite apparu que le processus de création était un objet d’étude fascinant en soi, plutôt qu’un simple moyen d’obtenir un éclairage sur les œuvres créées. À ce stade, nous nous sommes tournés vers l’ethnographie et la microsociologie pour trouver des orientations conceptuelles et méthodologiques, afin de traiter l’ensemble des matériaux émergeant des observations et des questions de recherche qu’il posait, ainsi que les problèmes politiques et éthiques découlant des phases d’observation, de documentation et d’analyse du travail.
L’étude des processus de création est une sous-discipline émergente au sein des Performance Studies, dans lesquelles l’objet de l'attention des chercheurs est le processus créatif impliqué dans la construction d’une performance de tout type. Le mot « processus de création » ne doit pas être interprété comme une focalisation exclusive sur les processus de fabrication du théâtre dramatique traditionnel (la répétition), même s’il s’agit d’un sujet de fascination durable, comme il convient aux pratiques qui, depuis l’avènement du metteur en scène au tournant du XXe siècle, ont transformé la façon de faire du théâtre. L’étude des processus de création, telle qu’elle est pratiquée par les universitaires du département de Performance Studies de l’université de Sydney, pionniers dans ce domaine, s’intéresse à une catégorie très étendue de performances, comprenant un large éventail de pratiques performatives (sport, droit, médecine, mode et politique, pour n’en citer que quelques-unes) en plus des genres de performance esthétique. Cependant, quelle que soit la nature de la performance, tout le travail repose sur le constat que la compréhension de toute performance est grandement améliorée par la connaissance du processus génératif qui l’a produite et de l’agentivité créative des personnes impliquées.
Dès le début, l’étude des processus de création à l’université de Sydney a été basée sur des projets de collaboration dans lesquels des compagnies de théâtre professionnelles ouvraient leur processus de création à des observateurs universitaires. Suivant le tournant ethnographique qui a touché de nombreuses disciplines au cours des vingt-cinq dernières années, l’attention s’est déplacée de la performance en cours de conception au processus créatif en tant que fin en soi. La tâche devint alors de documenter et de tenter de donner un sens à des processus interpersonnels complexes, impliquant des semaines de travail intensif de la part d’artistes et d’autres travailleurs qualifiés employant une variété de médias, potentiellement basés dans des lieux différents, et soumis à une série de contraintes institutionnelles. L’approche ethnographique typique de l’étude des processus de création nécessite de nombreuses semaines d’observation participante par un chercheur travaillant aux côtés des artistes en question, tout au long du processus de création. L’ethnographie et la microsociologie ont fourni des concepts analytiques et des orientations méthodologiques très utiles pour tenter de décrire les mondes sociaux de la production, mais, dans le cas de l’étude des processus de création, la performance en cours de conception reste au centre de l’analyse, tant dans son rapport au processus de travail qui l’a produite que de ce que cela signifie pour les personnes impliquées.
L’étude des processus de création partage avec la génétique théâtrale une préoccupation pour la genèse des œuvres performatives, mais s’en distingue par cette insistance méthodologique sur l’observation participante. La génétique théâtrale, comme la génétique littéraire dont elle s’inspire, repose en grande partie sur des documents et des archives produits au cours du processus de création. L’étude des processus de création exige de l’universitaire/du chercheur qu’il soit présent à tout moment en tant qu’observateur dans la salle de répétitions, et son champ d’action s’étend au-delà de la performance pour englober la réflexion sur les relations entre l’œuvre produite, la manière dont elle a été produite et les influences sociales et culturelles en jeu dans la société au sens large qui peuvent être éclairées par le processus.
Pour citer : Gay McAuley, « Étude des processus de création », traduit par Laure Fernandez, Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177887