Études Cinématographiques Kieran Puillandre, Doctorant et ATER, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Litt&Arts, 3800 Grenoble, France
Élaborées à partir d'une approche interdisciplinaire, mes recherches se consacrent à l'étude des processus de créations où se croisent images photographiques et mouvements filmiques. En prenant pour appui un corpus établi des années 1960 à nos jours, mes travaux interrogent l'évolution de nos rapports aux images ainsi qu'à leur mode de production à partir d'œuvres de cinéastes qui ont traversé ces décennies et vécu le passage de l'argentique à l'ère numérique. Si le numérique à ouvert de nombreuses possibilités filmiques et photographiques, il a aussi entrainé une accélération des moyens de productions et du développement de nouvelle technologie. Les films étudiés se situent à contre-courant de cette accélération du mouvement. Ces films expriment plutôt de des dialogues entre différentes formes d'images dans le but de retrouver du temps et de la durée dans ce qui « a été »[1]. La photographie est par nature une image à laquelle il manque quelque chose. En se retrouvant dans le mouvement du film, elle retrouve ainsi une durée, remettant en mouvement les formes figées, sauvegardées sur papier gélatino-argentique ou fichier numérique.
Parmi de nombreux cinéastes, Jean-Daniel Pollet (1936 – 2004) a interrogé à plusieurs niveaux les relations entre le film et la photo, ainsi que la capacité de cette relationà étudier les liens entre mémoire, archive et sauvegarde. Toutefois, c'est dans son ultime œuvre « Jour après jour » que la relation entre la photographie et le cinéma interroge davantage la question de la sauvegarde. Pour Jean-Daniel Pollet, la question de la photographie s'est finalement imposée à lui de par les conséquences d'un accident qui l'a contraint à l'immobilité. N'étant plus capable de soulever une caméra, le cinéaste tend sa réalisation d'images vers la photographie. Elle permet à Jean-Daniel Pollet de réaliser plusieurs films comme « Jour après Jour » (2006), dont la démarche initiale était de photographier au moins une fois par jour afin de pouvoir durer un peu plus, chaque jour. Pollet photographie alors depuis sa maison et on trouve dans le film de nombreuses prises de vue de fruits, de fleurs et d'arbres. Ce film rappelle alors la pratique photographique du cinéaste iranien Abbas Kiarostami qui photographiait des arbres pour pouvoir les partager avec ceux qui n'étaient pas là. La photographie dans son rapport au cinéma est alors une affaire de partage. De par sa nature fixe et rigide, le cinéma lui offre une durée à l'écran, en échange de nouvelles possibilités de montage, où un film se compose avec des images absentes de mouvement. C'est cette mise en mouvement de la photographie à travers le film qui entraîne la formation du processus de sauvegarde. Cette sauvegarde repose sur l'utilisation d'images photographiques prenant racines dans le mouvement du film.
Ici, la sauvegarde est donc un acte qui permet de retrouver dans une image, une trace d'un élément ou d'un événement disparu, pris dans le mouvement du monde. Car à ce propos, rappelons qu'avant de finaliser Jour après jour, Jean-Daniel Pollet décède, léguant à son ami Jean-Paul Fargier la responsabilité de terminer ce film, à partir d'archives photographiques (365 photos), de quelques notes et d'indications de montage conservées. Il s'agit donc d'une mémoire visuelle sauvegardée à la main dans des carnets permettant l'aboutissement à venir d'un film.
[1] Roland Barthes, La chambre claire, La chambre claire : Note sur la photographie, Éditions de l'Étoile, Gallimard, Le Seuil, Paris, 1980, p. 119. « Ça a été » ; Cette célèbre formule de Roland Barthes synthétise l'expérience de reconnaissance à partir d'une photographie d'une ou d'un événement révolu dans le temps.
Pour citer : Kieran Puillandre, Sauvergarde , Performascope : Lexique interdisciplinaire de la performance et de la recherche-création, Université Grenoble Alpes, Grenoble, 2025 [en ligne] : https://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/886643