Études en linguistique
Nathalie Henrich Bernardoni, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Grenoble INP, GIPSA-lab, 38000 Grenoble, France
Vous êtes-vous déjà posé la question de savoir d’où viennent les sons qui sortent de votre bouche et comment sont-ils produits ? Pourquoi certaines personnes chantent de façon très sonore et d’autres avec beaucoup de souffle sur la voix ? Pourquoi, à l’écoute de la voix d’une personne au téléphone, êtes-vous capable de la reconnaître, et si vous ne la connaissez pas, d’inférer de nombreuses informations sur elle, comme son genre, son âge, son état émotionnel, et pourquoi pas ses origines linguistiques ? Ces questions m’ont personnellement interpellée et amenée à travailler en tant que scientifique pluridisciplinaire en Sciences du langage. Physicienne de formation, mon objet de recherche, la voix humaine sous toutes ses formes d’expression, m’a amené à développer des compétences dans de nombreux domaines disciplinaires, tels que l’acoustique musicale, la phonétique acoustique et clinique, la physiologie, le traitement du signal et des images, la perception musicale, l’ethnomusicologie.
Nous sommes des êtres de pensée. Nous appréhendons le monde qui nous entoure à la lumière de nos percepts. En tant que scientifique, j’ai souhaité aller au-delà de la simple observation, pour expliquer et reproduire. La modélisation est notre porte d’entrée vers la compréhension des phénomènes physiques qui nous entourent, et leur traduction dans un langage qui fait sens pour nous, transmissible et évolutif. C’est une démarche très commune en physique, discipline dont je suis imprégnée. Modéliser un phénomène implique de développer ou d’utiliser des concepts, des théories et des outils pour décrire, comprendre et prédire un phénomène du monde réel.
Un modèle est par essence une abstraction du monde physique, limitée par les contours théoriques sur lesquels il s’appuie, les hypothèses dont il découle, les observables qui le nourrissent. Il est de nature à évoluer, se complexifier ou parfois se reformuler, se repenser à la lumière de nouvelles connaissances, de nouveaux outils expérimentaux, de nouvelles approches mathématiques.
Modéliser un phénomène, c’est procéder à un aller-retour constant entre ce que nous pouvons observer et ce que nous prédisons. En Sciences Physiques comme en Sciences du langage et en Sciences de la Vie, la modélisation se nourrit des données – données expérimentales, données linguistiques…
En Sciences de la Parole, il existe différentes approches de modélisation, selon la finalité du modèle, son usage. Si l’on souhaite reproduire le phénomène de façon la plus simple, la plus maniable (pour de la synthèse temps-réel par exemple), nous irons vers de la modélisation mathématique ou statistique. Si l’on souhaite comprendre la physique du phénomène et en reproduire le comportement, nous irons vers de la modélisation physique et de la simulation numérique s’appuyant sur des équations physiques.
Modéliser la production de la voix humaine permet de mieux la comprendre. Cela peut amener à un ajustement, voire à un changement dans la pratique vocale. Si certains artistes vocaux n’ont pas de curiosité sur le fonctionnement de leur instrument, d’autres vont se nourrir de ces connaissances acquises pour faire évoluer leur jeu vocal.
Pour citer : Nathalie Henrich Bernardoni, « Modélisation », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177853