Études en informatique
Rémi Ronfard, Univ. Grenoble Alpes, Inria, CNRS, Grenoble INP, LJK, 38000 Grenoble, France
J’ai une formation d’ingénieur et j’ai fait toute ma carrière dans la recherche en informatique, d’abord dans l’industrie puis à l’Inria, où je suis actuellement directeur de recherche. J’ai un rapport très particulier avec le terme d’informatique théâtrale, car je l’ai forgé moi-même pour traduire le terme anglais de « computer theater » introduit par Claudio Pinhanez au cours de sa thèse au MIT dans les années 1990. Je me suis basé pour traduire ce terme sur une analogie avec les couples « computer music / informatique musicale » et « computer graphics / informatique graphique » qui sont communément admis.
Ma discipline d’origine est l’informatique graphique, et son objet est la synthèse d’images. Mais en réalité, mon travail concerne principalement la création de formes tridimensionnelles en mouvement. Mes recherches se développent à la fois dans le temps et dans l’espace, ce dont le terme d’informatique graphique ne rend pas très bien compte. Depuis de nombreuses années, je me débats avec cette contradiction et je cherche un terme plus apte à représenter ma discipline dans toutes ses dimensions.
Si l’on cherche une correspondance avec les arts, c’est vers l’architecture ou le théâtre qu’il faudrait se tourner, plutôt que les arts graphiques. Dans les domaines de la création numérique, l’interaction entre artistes et scientifiques est un enjeu très important. Les équipes de recherche ont besoin que les artistes s’emparent de leurs outils pour démontrer la pertinence et la validité de leurs inventions. Les artistes ont besoin d’ouvrir les portes des laboratoires de recherche pour apprendre à programmer les nouveaux outils de création et de mise en scène des mondes virtuels.
L’informatique musicale s’est considérablement développée en France à partir des années 1980 en rassemblant musiciens et informaticiens dans des structures communes, centres de recherche et création, où ils ont pu développer un langage commun. Ces structures se sont fait connaître autant par leur production scientifique que par leur production artistique. Elles sont aujourd’hui respectées dans leurs disciplines d’origine. Les chercheurs en informatique musicale sont reconnus par leurs pairs, et les compositeurs de musique électronique ou algorithmique également.
L’informatique théâtrale se propose de suivre le même chemin pour la création dramatique dans les mondes virtuels (Ronfard et Valéro, 2020). Cette pratique se développe sous des dénominations diverses - arts numériques, médiations spatiales, arts interactifs, nouveaux médias, théâtres numériques, etc. Elle n’a encore ni la reconnaissance ni la visibilité qu’elle mérite.
J’ai ressenti une joie immense à voir se concrétiser le projet des premières « Journées d’Informatique Théâtrale » au sein du Performance Lab à Grenoble en février 2020. Les chercheurs et les artistes du monde francophone ont répondu à notre appel et nous avons participé ensemble à la création de cette nouvelle discipline que nous appelons de nos vœux.
Il reste encore beaucoup à faire pour imposer cette discipline aux contours encore flous et pour la faire vivre au quotidien. Les journées ont permis de rompre les premières barrières. Dans les prochaines années, j’espère que chercheurs et artistes en informatique théâtrale pourront se fédérer dans des « centres de création théâtrale » qui restent à inventer sur le modèle de leurs aînés, les centres nationaux de création musicale, pour le renouvellement des formes et des langages dramatiques.
Pour prolonger :
Rémi Ronfard et Julie Valéro. Pourquoi l’informatique théâtrale ? Acte des premières journées d’informatique théâtrale. Performance Lab, Grenoble, février 2020. https://youtu.be/CXd-TTW4vO0
Pour citer : Rémi Ronfard, « Informatique théâtrale », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177839