Geste Gesture

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Définition

La notion de geste désigne un événement expressif, une activité corporelle, à l’instar d’un signe manuel qui relève d’une forme de communication. Elle se distingue du mouvement en ce qu’elle porte une intention et une signification de la part de son agent.

Pour citer : « Geste », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177833

Perspective

Études en linguistique
Nathalie Henrich Bernardoni, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Grenoble INP, GIPSA-lab, 38000 Grenoble, France

En tant que physicienne et phonéticienne travaillant dans les sciences de la voix, et la vocologie en particulier, je m’intéresse au geste vocal, qui est tout à la fois expression sonore d’un corps et porteur d’une pensée. Pour produire un son vocal, il nous faut coordonner en aveugle un grand nombre de gestes : les gestes respiratoires qui vont permettre au souffle d’air d’aller et de venir de façon contrôlée, les gestes phonatoires, ballet invisible au sein du larynx à la source du son, les gestes articulatoires qui vont façonner le son vocal comme un potier façonne un vase – avec précision et dextérité. Chaque geste a son importance, son impact sonore, sa place dans la complexité et la richesse de l’expression vocale humaine. Ces gestes invisibles s’accompagnent d’un ensemble de gestes bien visibles, comme les mouvements des lèvres, de la mâchoire, des yeux, des mouvements de la tête, des bras, des mains, et des mouvements posturaux, comme des balancés.

La particularité du geste vocal est qu’il n’est pas visible, mais bien audible. De fait, son contrôle s’appuie sur l’écoute du son produit et sur les sensations proprioceptives qui l’accompagnent. De plus, ce n’est pas le geste en lui-même qui produit le son mais son interaction avec l’air expiré et son environnement acoustique. Il s’agit donc d’un travail fin d’équilibre entre souffle, structures en mouvement et son. À tout moment cet équilibre peut être perturbé, par un geste inadapté, par une humeur, par une émotion qui s’insinue dans le geste.

Comment appréhender l’ensemble des gestes qui constituent le geste vocal, sans pour autant que cela ne perturbe le locuteur ou le chanteur ? La phonétique expérimentale a suscité le développement de tout un ensemble d’outils de mesure de la respiration, de la phonation, de l’articulation et des débits d’air oral et nasal. Par exemple, nous accédons à la mesure du contact entre les plis vocaux au sein du larynx par la technique non-invasive de l’électroglottographie. Cette mesure de la résistance au passage du courant entre deux électrodes posées sur le cou de la personne au niveau de la pomme d’Adam est directement reliée à l’aire de contact glottique : le courant passera plus difficilement quand les deux plis sont écartés que quand ils sont en contact. Un autre exemple est la technique de l’articulographie électromagnétique, qui permet de capter les mouvements dans l’espace des points de chair sur lesquels sont collées de petites bobines. Ainsi nous pouvons observer les mouvements de la langue et des lèvres pendant les gestes articulatoires de la parole avec une grande précision temporelle.

Pour prolonger :

Claire Gillie-Guilbert, “‘Et la voix s’est faite chair…’. Naissance, essence, sens du geste vocal”, Cahiers d’ethnomusicologie, 14, 2001, pp.3-38 [online] : https://journals.openedition.org/ethnomusicologie/71 (03/10/21)

Pour citer : Nathalie Henrich Bernardoni, « Geste », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177833


Études en danse
Gretchen Schiller, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Litt&Arts, 38000 Grenoble, France

Géo-gestes

Je suis une chorégraphe canadienne et professeure à l'Université de Grenoble Alpes. Mon éducation ainsi que ma carrière professionnelle dans les arts et le milieu universitaire ont été façonnées par des voyages à travers des contextes géographiques et linguistiques différents, et ce depuis le jour de ma naissance.

Ariel Osterweis utilise le terme de géo-chorégraphies (avec trait d’union) pour décrire la création chorégraphique de Faustin Linyekula qui traverse les espaces publics et les paysages de la République Démocratique du Congo. Carolina Caycedo décrit ses travaux comme des géochorégraphies (sans trait d’union) pour mettre en lumière les projets politiques, sociaux et environnementaux au Brésil et le long du fleuve Magdalena en Colombie du Sud. J'utilise le terme de géo-geste (avec un trait d'union) pour parler de l’agentivité corporelle du public, à la fois porteur et créateur de mouvements situés et récoltés dans un lieu dans la performance contemporaine – ici, là et partout.

En tant qu’artiste-chercheuse, je considère le dialogue entre le lieu et le corps comme étant au centre de ma pratique et de ma pensée chorégraphique depuis les années 1990, avec des travaux comme Face à Face (1994), Shifting Ground (1999), Trajets (2000-2007), Falling into place (2014) ou l’ouvrage Choreographic Dwellings, codirigé avec Sarah Rubridge en 2014. La chorégraphie, m’a dit Allegra Fuller Snyder, ne se passe pas toujours sur une scène, et quand elle marche sur ou tombe des et au travers des territoires et de la performance, elle invite la danse à considérer le geste à travers le prisme du lieu, du site et de notre condition planétaire.

Depuis 2018, le Performance Lab à l’UGA participe à la création de différents projets qui mettent en lumière le rôle du public dans des performances dans lesquels les gestes ordinaires (les habitudes quotidiennes), extraordinaires (des danseurs formés et entraînés) et infraordinaires (difficiles à percevoir) s’entremêlent. Nous voilà donc, observant comment les spectateurs, ces corps de divers âges, lieux, origines et imaginaires, sont invités à participer à la fabrication d’œuvres spécifiques à travers un site ou des multi-sites. Dans ces contextes, ces corps ne sont pas assis ou silencieux : il est demandé au public de participer avec sa propre agentivité et performativité. Au sein des projets de déambulation, le public est hôte de sa condition nomade. Collectivement, ces projets mettent en question les canons chorégraphiques de l’invention du vocabulaire du mouvement, la créativité compositionnelle, et changent la donne en ce qui concerne notre compréhension du caractère multisite de l’agentivité corporelle du public.

Le terme géo-geste nous aide à prêter attention à la façon dont les gestes du public se situent et se disloquent à travers le repos corporel platial (du lieu) et l'agitation à la fois dans la performance contemporaine et de la vie quotidienne. Les changements tectoniques de nos corps quotidiens et du corps formé à la danse partagent les rôles et questions de leur socialité, de leur fonctionnalité, de leur expressivité, de leur transformativité, ainsi que de leur survie. De quel corps parle-t-on vraiment ici ? Le préfixe géo nous permet de nous appuyer sur les conditions spatio-temporelles négligées dans les études en danse, telles que les périodes géologiques. Le temps géologique est en effet un processus évolutif beaucoup plus lent que le temps mortel, mais les gestes, liés aux os, comme les roches, sont métamorphiques et sédimentaires. Géo, dans géo-geste, relie les scalarités spatio-temporelles des sciences de la Terre à nos corps sensoriels kinesthésiques en mouvement.

Pour citer : Gretchen Schiller, « Geste », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/en/detail/177833

Citation

« On retrouve ainsi la double nature du geste, dont une face représente un acte visant à son accomplissement propre, tandis que l’autre face vise à des effets de spectacle destinés à un public d’observateurs. On peut désormais reformuler cette double face en disant que la force d’un geste tient à sa capacité à constituer un hypergeste, qui dépasse la factualité de son accomplissement particulier pour rayonner au-delà de son domaine propre, et inaugurer de nouvelles lignées de gestes grâce à son irradiation transductive. »

Yves Citton, Gestes d’humanité : anthropologie sauvage de nos expériences esthétiques, Paris : Armand Colin, 2012, p.56


« Le geste a une intention, alors que le mouvement peut aussi bien résulter d’un automatisme humain que de n’importe quelle animation d’un objet ou d’un mécanisme non humain. »

Laurence Louppe, Poétique de la danse contemporaine, Bruxelles : Contredanse, 1997, p.106


« Movement of the body, most often voluntary and controlled by the actor, meant to produce a meaning that may or may not be dependent on the spoken text. »

Patrice Pavis, Christine Shantz, Dictionary of Theatre: Terms, Concepts and Analysis, traduit par Christine Shantz, Toronto : University of Toronto Press, 1998, p.162


« Pour tout observateur du dehors, l’homme est un complexus de gestes. Nous appelons gestes tous les mouvements qui s’exécutent dans le composé humain. Visibles ou invisibles, macroscopiques ou microscopiques, poussés ou esquissés, conscients ou inconscients, volontaires ou involontaires, ces gestes n’en accusent pas moins la même nature essentiellement motrice. »

Marcel Jousse, « I. La gesticulation universelle de l’Homme », in L'Anthropologie du Geste, Paris : Gallimard, 2008 [1974], p.687


« Le terme geste a été choisi délibérément en tant qu’il engage l’aspect expressif du mouvement ; le geste est pensé ici comme un événement qui engage certes un mouvement dessiné par un corps humain (mouvement dont l’on peut faire éventuellement une description biomécanique) mais un mouvement aussi et toujours coloré par un fond(s) (une réserve, un potentiel) posturo-tonico-émotionnel non conscient, mettant en jeu la fonction imaginaire proprement humaine et s’élaborant dans l’intercorporéité. »

Christine Roquet, « Du mouvement au geste : penser entre musique et danse », Filigrane : musique, esthétique, sciences, société, « Gestes et mouvements à l’oeuvre : une question danse-musique, Xxe-XXIe siècles », décembre 2016. [En ligne] : http://revues.mshparisnord.org/filigrane/index.php?id=783


« L’être humain saisit le monde extérieur et l’incorpore […] pour coïncider avec les actions qui proviennent de son environnement. Et, par un effet du vivant, quasi physique, l’être humain va gestualiser ce qui lui a été infligé. C’est le Mimisme qui “est la tendance instinctive que seul possède l’anthropos à “rejouer” les gestes du réel qui se sont “joués” devant lui. Cette grande force contraignante, nous l’avons dès que nous nous éveillons à la vie”. »

Denis Cerclet, « Marcel Jousse : à la croisée de l’anthropologie et des neurosciences, le rythme des corps », Parcours anthropologiques, 9, 2014, [en ligne] : http://journals.openedition.org/pa/310 (21/03/21)

Bibliographie

Elizabeth Behnke, « Ghost gestures : phenomenologival investigations of bodily micromovements and their intercorporeal implications », Human studies, 20, 2, 1997

Anne Boissière, Catherine Kintzler & coll., Approche philosophique du geste dansé, Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2006

Hubert Godard, « Le Geste et sa perception », in La danse au XXe siècle, Isabelle Ginot, Marcelle Michel dirs., Paris : Larousse, 2002, p. 236

Marcel Jousse, L’anthropologie du geste, Paris : Éditions Resma, 1969

Vilém Flusser, Les gestes, Marc Partouche, Sandra Parvu dirs., Bandol : Al Dante, 2014

Barbara Formis, Gestes à l’œuvre, Lille : De l’incidence, 2008

Sally Ann Ness, Carrie Noland, Migrations of gesture, Minneapolis : University of Minnesota Press, 2008