Études en linguistique
Nathalie Henrich Bernardoni, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Grenoble INP, GIPSA-lab, 38000 Grenoble, France
En tant que physicienne et phonéticienne travaillant dans les sciences de la voix, et la vocologie en particulier, je m’intéresse au geste vocal, qui est tout à la fois expression sonore d’un corps et porteur d’une pensée. Pour produire un son vocal, il nous faut coordonner en aveugle un grand nombre de gestes : les gestes respiratoires qui vont permettre au souffle d’air d’aller et de venir de façon contrôlée, les gestes phonatoires, ballet invisible au sein du larynx à la source du son, les gestes articulatoires qui vont façonner le son vocal comme un potier façonne un vase – avec précision et dextérité. Chaque geste a son importance, son impact sonore, sa place dans la complexité et la richesse de l’expression vocale humaine. Ces gestes invisibles s’accompagnent d’un ensemble de gestes bien visibles, comme les mouvements des lèvres, de la mâchoire, des yeux, des mouvements de la tête, des bras, des mains, et des mouvements posturaux, comme des balancés.
La particularité du geste vocal est qu’il n’est pas visible, mais bien audible. De fait, son contrôle s’appuie sur l’écoute du son produit et sur les sensations proprioceptives qui l’accompagnent. De plus, ce n’est pas le geste en lui-même qui produit le son mais son interaction avec l’air expiré et son environnement acoustique. Il s’agit donc d’un travail fin d’équilibre entre souffle, structures en mouvement et son. À tout moment cet équilibre peut être perturbé, par un geste inadapté, par une humeur, par une émotion qui s’insinue dans le geste.
Comment appréhender l’ensemble des gestes qui constituent le geste vocal, sans pour autant que cela ne perturbe le locuteur ou le chanteur ? La phonétique expérimentale a suscité le développement de tout un ensemble d’outils de mesure de la respiration, de la phonation, de l’articulation et des débits d’air oral et nasal. Par exemple, nous accédons à la mesure du contact entre les plis vocaux au sein du larynx par la technique non-invasive de l’électroglottographie. Cette mesure de la résistance au passage du courant entre deux électrodes posées sur le cou de la personne au niveau de la pomme d’Adam est directement reliée à l’aire de contact glottique : le courant passera plus difficilement quand les deux plis sont écartés que quand ils sont en contact. Un autre exemple est la technique de l’articulographie électromagnétique, qui permet de capter les mouvements dans l’espace des points de chair sur lesquels sont collées de petites bobines. Ainsi nous pouvons observer les mouvements de la langue et des lèvres pendant les gestes articulatoires de la parole avec une grande précision temporelle.
Pour prolonger :
Claire Gillie-Guilbert, “‘Et la voix s’est faite chair…’. Naissance, essence, sens du geste vocal”, Cahiers d’ethnomusicologie, 14, 2001, pp.3-38 [online] : https://journals.openedition.org/ethnomusicologie/71 (03/10/21)
Pour citer : Nathalie Henrich Bernardoni, « Geste », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177833
Études en danse
Gretchen Schiller, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Litt&Arts, 38000 Grenoble, France
Géo-gestes
Je suis une chorégraphe canadienne et professeure à l'Université de Grenoble Alpes. Mon éducation ainsi que ma carrière professionnelle dans les arts et le milieu universitaire ont été façonnées par des voyages à travers des contextes géographiques et linguistiques différents, et ce depuis le jour de ma naissance.
Ariel Osterweis utilise le terme de géo-chorégraphies (avec trait d’union) pour décrire la création chorégraphique de Faustin Linyekula qui traverse les espaces publics et les paysages de la République Démocratique du Congo. Carolina Caycedo décrit ses travaux comme des géochorégraphies (sans trait d’union) pour mettre en lumière les projets politiques, sociaux et environnementaux au Brésil et le long du fleuve Magdalena en Colombie du Sud. J'utilise le terme de géo-geste (avec un trait d'union) pour parler de l’agentivité corporelle du public, à la fois porteur et créateur de mouvements situés et récoltés dans un lieu dans la performance contemporaine – ici, là et partout.
En tant qu’artiste-chercheuse, je considère le dialogue entre le lieu et le corps comme étant au centre de ma pratique et de ma pensée chorégraphique depuis les années 1990, avec des travaux comme Face à Face (1994), Shifting Ground (1999), Trajets (2000-2007), Falling into place (2014) ou l’ouvrage Choreographic Dwellings, codirigé avec Sarah Rubridge en 2014. La chorégraphie, m’a dit Allegra Fuller Snyder, ne se passe pas toujours sur une scène, et quand elle marche sur ou tombe des et au travers des territoires et de la performance, elle invite la danse à considérer le geste à travers le prisme du lieu, du site et de notre condition planétaire.
Depuis 2018, le Performance Lab à l’UGA participe à la création de différents projets qui mettent en lumière le rôle du public dans des performances dans lesquels les gestes ordinaires (les habitudes quotidiennes), extraordinaires (des danseurs formés et entraînés) et infraordinaires (difficiles à percevoir) s’entremêlent. Nous voilà donc, observant comment les spectateurs, ces corps de divers âges, lieux, origines et imaginaires, sont invités à participer à la fabrication d’œuvres spécifiques à travers un site ou des multi-sites. Dans ces contextes, ces corps ne sont pas assis ou silencieux : il est demandé au public de participer avec sa propre agentivité et performativité. Au sein des projets de déambulation, le public est hôte de sa condition nomade. Collectivement, ces projets mettent en question les canons chorégraphiques de l’invention du vocabulaire du mouvement, la créativité compositionnelle, et changent la donne en ce qui concerne notre compréhension du caractère multisite de l’agentivité corporelle du public.
Le terme géo-geste nous aide à prêter attention à la façon dont les gestes du public se situent et se disloquent à travers le repos corporel platial (du lieu) et l'agitation à la fois dans la performance contemporaine et de la vie quotidienne. Les changements tectoniques de nos corps quotidiens et du corps formé à la danse partagent les rôles et questions de leur socialité, de leur fonctionnalité, de leur expressivité, de leur transformativité, ainsi que de leur survie. De quel corps parle-t-on vraiment ici ? Le préfixe géo nous permet de nous appuyer sur les conditions spatio-temporelles négligées dans les études en danse, telles que les périodes géologiques. Le temps géologique est en effet un processus évolutif beaucoup plus lent que le temps mortel, mais les gestes, liés aux os, comme les roches, sont métamorphiques et sédimentaires. Géo, dans géo-geste, relie les scalarités spatio-temporelles des sciences de la Terre à nos corps sensoriels kinesthésiques en mouvement.
Pour citer : Gretchen Schiller, « Geste », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/en/detail/177833