Milieu Milieu/Medium

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Définition

Issu de la biologie, le terme de « milieu » désigne ce qui entoure un être ou une chose, ce dans quoi il est situé. Le milieu peut désigner des espaces physiques, climatiques ou encore sociaux. Cette notion est notamment mobilisée pour étudier les conditions d’existence et d’évolution des êtres vivants, ainsi que leurs capacités de perception. Le milieu se rapproche du terme « environment » en anglais et « Umwelt » en allemand.

Pour citer : « Milieu », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177555

Perspective

Art et philosophie des médias
Alice Lenay, Maîtresse de conférences, Arts plastiques, AIAC - TEAMeD, Université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis, France

Ma recherche-création en étude des media, art et sciences des arts porte sur les relations avec d’autres visages sur écran. Je développe des éditions, des performances et des installations vidéos, souvent collaboratives, qui questionnent notre désir de rencontre et j’utilise l’écran comme laboratoire d’observation. Voilà la question qui m’occupait pour ma thèse : comment « être-ensemble » par le biais d’images sur nos écrans ? Est-il possible de partager le même « milieu de rencontre » malgré la séparation géographique et parfois temporelle qui sépare nos corps de chair et de sang ?

C’est à partir de l’approche gibsonienne du « milieu » que mon enquête s’est organisée. Le « milieu » (medium en anglais) est un espace homogène dans lequel on peut agir et se déplacer. C’est le cas de l’eau, de la terre ou de l’air. Ces différents milieux élémentaires sont séparés par des surfaces qui agissent comme des « interfaces » entre les trois états solide, liquide et gazeux de la matière. Les « substances », quant à elles, sont les objets et les êtres occupant le milieu, et qui se trouvent illuminés et donc visibles pour nous. Le milieu gibsonien désigne donc l’environnement, au sens d’habitat, d’un être vivant ou d’une espèce, selon ses capacités motrices et perceptives. Lorsque nous – des humains voyants – nous déplaçons, la forme des objets se modifie, certains se trouvant cachés par d’autres, ou non visibles, du fait des déplacements du corps et du changement perspectif. Nous sommes ainsi constamment en couplage avec notre environnement et c’est cette interaction qui guide notre perception. C’est pourquoi chez Gibson, les objets ne sont pas perçus « en soi », mais pour les interactions possibles qu’ils annoncent, leurs « invites » [affordances].

Comment l’écran numérique [black mirror] peut-il alors s’insérer dans cette définition du milieu ? Doit-on le considérer comme une substance ou une surface ? En tant qu’objet, l’écran éteint réfléchit la lumière comme d’autres objets opaques et brillants. Lorsqu’il est allumé, il cache non seulement le mur sur lequel il est posé, mais introduit un visible apparemment hétérogène au milieu que j’occupe. Dans les études de cas qui m’ont intéressées, ce qui apparaît à l’écran est l’image d’un autre milieu et donc d’une autre lumière captée (images animées prises par une caméra).

La surface de l’écran peut alors être considérée comme une frontière infranchissable. Contrairement à l’eau ou à la terre, la surface de l’écran n’est pas pénétrable, elle n’est pas friable. Percer l’écran ne me fera pas avancer vers le milieu qui y était présenté. Contrairement à une vitre ou une fenêtre qui pourraient être brisées, l’écran cassé rompt toute communication avec l’autre milieu auquel il donnait pourtant accès.

Cependant, ces deux milieux ne sont pas non plus tout à fait hétérogènes. Lorsque l’écran est en marche, il devient une source lumineuse qui varie en fonction des images qui s’y affichent. Ces deux ambiances lumineuses s’influencent réciproquement : si une des images captées s’obscurcit brusquement (une ampoule qui éclairait la pièce filmée jusque-là s’éteint), alors l’intensité lumineuse transmise par l’écran fera varier l’ambiance lumineuse dans laquelle il se trouve.

Une autre évidence – capitale – doit être relevée : lorsque je me déplace devant une image à l’écran, la perspective ne bouge pas en fonction de mes mouvements. Je ne peux pas faire apparaître ou disparaître par mon mouvement d’approche ou par mes pas de côté, des éléments de part et d’autre du cadre. En cela, l’écran relaie moins une image absente qu’un deuxième point de vue, indépendant du mien, sur lequel ma perception vient se brancher localement. Il n’est pas une surface neutre, mais une surface avec un point de vue.

Comment alors parler d’un « milieu de rencontre » sur écran ? Comment fonctionnerait un tel milieu ? En observant la simulation d’un face-à-face avec un autre visage sur écran, j’ai observé quelle forme de continuités ou de ruptures pouvait s’établir entre deux milieux ainsi rassemblés.

Pour citer : Alice Lenay, « Milieu », Performascope : Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création, Grenoble : Université Grenoble Alpes, 2021, [en ligne] : http://performascope.univ-grenoble-alpes.fr/fr/detail/177555

Citation

« Un milieu environnemental invite donc à respirer, à se mouvoir, il peut être rempli d’illumination de manière à permettre la vision, il invite à détecter les vibrations et la diffusion d’émanations chimiques diverses, il est homogène, et il comporte un axe de référence absolu selon le haut et le bas. Toutes ces offrandes de la nature, ces possibilités ou opportunités, ces invites [affordances], comme je les appellerai, sont invariantes ; elles ont une remarquable constance durant toute l’évolution de la vie animale. »

James J. Gibson, Approche écologique de la perception visuelle, traduit par Olivier Putois, Bellevaux : Éditions Dehors, 2014 [1979], p. 66-67


« La notion de milieu est une notion essentiellement relative. C’est pour autant qu’on considère séparément le corps sur lequel s’exerce l’action transmise par le moyen du milieu, qu’on oublie du milieu qu’il est un entre-deux centres pour n’en retenir que sa fonction de transmission centripète, et l’on peut dire sa situation environnante. Ainsi le milieu tend à perdre sa signification relative et à prendre celle d’un absolu et d’une réalité en soi. »

Georges Canguilhem, « Le vivant et son milieu », La Connaissance de la vie, Paris : Vrin, 2006 [1965], p.167


« Wherever there is life and habitation, the interfacial separation of substance and medium is disrupted to give way to mutual permeability and binding. For it is in the nature of living beings themselves that, by way of their own processes of respiration, of breathing in and out, they bind the medium with substances in forging their own growth and movement through the world. »

Tim Ingold, Being alive: essays on movement, Londres : Routledge, 2011, p.120

Bibliographie

Augustin Berque, Médiance : De milieux en paysages, Paris : Belin, 2000

Wolf Feuerhahn, « Du milieu à l’Umwelt : enjeux d’un changement terminologique », Revue philosophique de la France et de l’étranger, 134, 4, 2009, pp.419-438

Jakob Von Uexküll, Milieu animal et milieu humain, traduit par Charles Martin-Freville, Paris : Payot & Rivages, 2010 [1956]